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Télé prise qui croyait pendre

 

 
Un texte de Sylvain Grandserre,
Maître d’école en zone rurale en Seine-Maritime (76)


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Par deux fois la même semaine, la chaîne publique France 2 s’est rendue coupable d’un traitement médiatique partisan et mensonger sur la question des apprentissages à l’école. Tout a commencé au journal de 20h du mardi 15 novembre 2005 avec la diffusion du dossier de la rédaction consacré au prétendu retour aux « bonnes vieilles méthodes » dans l’enseignement. Pour illustrer cette thèse infondée, la journaliste a présenté le cas d’une jeune enseignante en Zone d’Éducation Prioritaire « empêchée » par sa hiérarchie d’utiliser des méthodes et des manuels des années 50. Tous les témoins choisis dans ce reportage furent unanimes pour confirmer leur efficacité (collègues de l’école, mère d’élève et même inspecteur retraité !). Et c’est ainsi que pendant 4 minutes il fut expliqué, sans la moindre contradiction ou nuance, que ces procédés, en l’occurrence une méthode syllabique de lecture, permettaient d’avoir toute une classe de CP qui sache lire dès le mois de mars pendant que l’Éducation Nationale imposait une méthode globale qui menait 30 % des collégiens à l’analphabétisme ! Plus grave encore, à aucun moment il ne fut fait état de la véritable personnalité de cette enseignante. Pourtant celle-ci est déjà bien connue des médias (télévision, radio, journaux, Internet) puisqu’elle est l’auteur du controversé « journal d’une institutrice clandestine », compilation au mieux de lieux communs, au pire d’inepties et de mensonges.

Suite à ce reportage, beaucoup de téléspectateurs ont réagi vigoureuse­ment en s’adressant au médiateur de la chaîne. Ainsi, ce dernier a décidé de consacrer une partie de son émission du samedi 19 novembre 2005 à ce thème. Malheureusement, il s’agissait plus d’un coup médiatique que d’une médiation. En effet, à elle seule, la composition du plateau était effarante puisque s’y trouvaient la journaliste venue défendre son travail, le médiateur et un téléspectateur dont on ne sut rien sinon qu’il était un défenseur acharné de la méthode syllabique, remède à tous les problèmes d’appren­tissage de la lecture selon lui. La seule contradiction modérée allait venir d’un instituteur à la retraite joint par téléphone (comme si aucun enseignant en activité n’était libre) ! Rapidement, on comprit qu’en lieu et place d’une médiation il allait s’agir d’un combat inégal à 3 contre 1 ! Bien entendu, à aucun moment des questions pertinentes ne furent posées à la journaliste : pourquoi ce sujet maintenant (deux mois après son tournage) ? Comment a été choisie l’enseignante ? Quelles preuves d’un retour aux vieilles métho­des ? Quelles preuves de leur efficacité ? Pourquoi n’avoir fait appel à aucun spécialiste de la question ? Pourquoi n’avoir pas fait part de la notoriété de cette enseignante (Rachel Boutonnet) ? D’où viennent ses sources (« mé­thode globale imposée par la hiérarchie », « tous ses élèves de CP savent lire en mars », « 30 % d’illettrés en 6e »…) ? Pourquoi n’avoir donné la parole à aucun contradicteur ? Comment ont été choisis les témoins ? Quelles preu­ves des menaces que ferait peser sur elle l’E.N. ?

S’ajoutent désormais à ces questions des interrogations quant à la véritable mission du médiateur : pourquoi ne pas avoir posé ces questions à sa collègue journaliste ? D’où sort l’invité sur le plateau venu encenser la journaliste (qui est-il ? Comment a-t-il été choisi ? Quelle est sa compétence pour juger ?) ? Pourquoi n’avoir trouvé aucun autre contradicteur qu’un retraité au téléphone ? Pourquoi ne lui avoir laissé la parole que 2 minutes sur toute l’émission (et encore, en lui coupant trois fois la parole !) ? N’est-ce pas plutôt à la télévision qu’a lieu le retour des « bonnes vieilles méthodes » d’information d’autrefois ? Du coup, un fort soupçon pèse à l’heure actuelle sur l’honnêteté apportée au traitement de la question scolaire par cette chaîne. A-t-on voulu nous montrer comment discipliner la jeunesse en ZEP ? De quel passé fantasmé veut-on nous rendre nostalgiques ? Qui a décidé un tel simulacre ?

En donnant la libre parole à des défenseurs du dressage et de l’ennui enfermés dans une pratique unique, rigide et archaïque prétendument remède à tous les problè­mes d’apprentissage, France 2 porte une lourde responsabilité. Chaque enseignant qui dans sa classe fait preuve au jour le jour d’innovation, de souplesse et de volonté ne peut que se sentir insulté par une telle manœuvre. Chacun est appelé à réagir par les moyens qui lui sembleront appropriés pour que cette manipulation de l’opinion soit rendue aussi inefficace que les méthodes qu’elle prétendait promouvoir.

Sylvain Grandserre
Le 30 novembre 2005

 
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Bibliographie de Sylvain Grandserre

 
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Dernière révision : jeudi 20 février 2014 – 17:40:00
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