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À propos de la scolarisation des élèves handicapés

 

 
Un texte de Pascal Ourghanlian,
Enseignant spécialisé
Référent pour la scolarisation des élèves handicapés


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Samedi 5 mai 2007

Je lis sur le forum du site de Daniel Calin(1) le message suivant d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS) chargée de l’accompagnement des élèves handicapés à l’école : « Je suis choquée de la violence que je découvre dans les écoles, de la souffrance qu’elle provoque chez les enseignants, les AVS et bien sûr les enfants au nom du principe du droit à l’école et de la peur de l’exclusion. Sommes-nous des sujets pensants ou les pantins des idéologies ambiantes de la pensée unique ? La personne handicapée n’existe-t-elle que par ses droits ? Les droits sont-ils plus importants que les personnes ? Où est le sujet ? »

Questions bien passionnantes que celles soulevées ici. Pour lesquelles j’avoue avoir de moins en moins de réponses. Ou, plus exactement, avoir de plus en plus de réticences aux réponses trop générales. Ou trop particulières.

Je m’explique. La question du handicap (je passe toutes les transitions qui devraient conduire de manière nuancée à ce que j’affirme ici un peu péremptoirement), c’est la double question de la mort, d’une part, et de ce qui fonde l’humain dans l’homme, d’autre part.

Autrement dit, jusqu’où le handicap n’est pas une différence comme les autres (la couleur des cheveux ou... de la peau), mais un élément constitutif, intrinsèque, de ce qui fonde l’unité de la personne ? Et en quoi cette « diffé­rence » fait de cet autre différent un être humain de même valeur, existen­tiellement, que moi. J’ai tendance à penser que c’est bien nos différences qui nous rapprochent (et non nos ressemblances, qui nous poussent à chercher le même dans l’autre, dans une indifférenciation dont Narcisse est mort – il faut être deux pour être un...). Mais, dans le même temps, j’ai tendance à penser que le handicap fonde un rapport au monde essentiellement différent de l’« ordinaire ». Tout, dans le rapport au monde, est changé lorsqu’on est handicapé : le regard des autres, le rapport à soi, la vie sexuelle, le chant des oiseaux – comme une exacerbation généralisée de ses ressentis propres. Je dirais volontiers : on est tous autistes quand on est handicapé, dans ce que l’on sait du rapport hyper-sensible au monde des personnes avec autisme, de leur vécu de la relation à l’autre comme terriblement périlleuse ou de leur besoin compulsif d’une position moins insécure de soi-même dans le monde. La personne sourde, troublée, en fauteuil – je crois – vit sa vie dans ce rapport-là aux êtres et aux choses.

Pour répondre aux questions posées plus haut, je crois que le sujet est là, dans ce qui le constitue qui en fait un être unique. Le problème supplémen­taire, quand il s’agit d’enfants, c’est que les adultes s’arrogent le droit de penser à sa place ce qui est bon pour lui et lui assignent donc la position d’objet (sous prétexte d’objectivité...). Et de décider que l’intégration indivi­duelle est meilleure que l’intégration collective qui est meilleure que... En projetant sur l’enfant le désir irrépressible de normalité qui est le leur.

Et c’est là que le « qui en fait un être unique » devient à son tour problé­matique : à ne voir que ce qui est différent, unique, on ne perçoit plus ce qui est commun, qui fait de la personne handicapée une personne comme les autres, pas seulement « en droit » (sans pluriel, ici, la « discrimination posi­tive » posée par la loi de 2005 étant, au contraire, pourvoyeuse de droitS) mais aussi au quotidien : l’enfant avec autisme, pour se construire comme sujet, a le même besoin que l’enfant ordinaire à un « non » clairement posé, explicité et structurant, par exemple. Et la mise en avant du handicap devient alors élément d’une discrimination, pas positive du tout, celle-là (et des aventures politiques européennes, pas si éloignées dans le temps, nous rappellent que cette tentation-là est toujours vivace, et peut être réactivée par quelques bulletins de votes...).

Cette oscillation permanente entre le général et le particulier, entre le souci de chacun et la nécessité d’une réponse commune, entre l’enfant handi­capé d’abord vu comme un enfant ou comme un handicapé crée une tension (une approche plus marxiste dirait une « dialectique ») qui donne à ce qu’interroge la loi de 2005 toute sa force terrible.

La mise en œuvre, c’est autre chose, qui a son importance, ô combien, mais que je ne discute pas ici (et les effets pervers de celle-ci m’apparaissent un peu plus chaque jour). La question, ici, c’est : jusqu’où je suis humain ? Jusqu’où je suis différent ? Jusqu’où je suis comme les autres ?

Bon WE ! Et que l’effet collectif de notre vote individuel de demain soit le moins désastreux possible...

Pascal Ourghanlian

 
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Note

(1) Le forum des enseignements spécialisés.

 
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