RASED : une exécution (très) sommaire...
Un texte de Jacky Poulain
Enseignant spécialisé, RASED Sallanches
Voir sur ce site les (C’est ainsi qu’on qualifie d’ordinaire une exécution sans autre forme de procès, totalement arbitraire, telle qu’on la pratique dans des pays un peu totalitaires sur les bords(*)...)
Disparition des RASED projetée, annoncée aux Inspecteurs d’Académie ce jeudi 16 octobre par le Ministre lui-même ; à charge pour eux, IA, de « mettre en œuvre » ces suppressions de postes spécialisés à raison de 30% / an... (les enseignants étant eux réaffectés devant les élèves, dans des classes « ordinaires »)
« La mort des RASED » ?
Sûrement pas la fin du monde, nous sommes d’accord. Peut-être cependant la fin d’un monde, la fin d’une époque : une page se tourne à l’école aujourd’hui. Xavier Darcos ne mesure peut-être pas les conséquences à moyen et long terme du séisme qu’il prend le risque de provoquer en rayant d’un trait de plume les aides spécifiques à l’école : gageons que les répliques à venir n’ont pas fini de se faire sentir négativement, à l’heure où les « décrochages » scolaires se démultiplient, où les conditions socio-familiales se dégradent, où les repères nécessaires n’ont jamais tant tangué, à l’heure où les difficultés d’adaptation et de comportement – dès l’école maternelle – n’ont jamais été aussi nombreuses... Ce qui, au passage, aurait amplement justifié un arrimage, un ancrage institutionnel des RASED sur des secteurs ou des bassins reconnus et identifiés ... « à besoins particuliers » !
M. Darcos veut « l’égalité » à l’école : il va creuser les écarts entre les familles qui seront sommées d’aller « consulter » à l’extérieur : culturellement, économiquement, la donne ne sera pas la même selon les milieux sociaux !
M. Darcos est soucieux des deniers publics ; mais il va participer à l’explosion du déficit de la sécurité sociale quand des dizaines de milliers de familles seront envoyées vers les services de soin ! En sera-t-il comptable ?
« Sédentariser ? »
À évoquer la « sédentarisation » de ces postes (« ça vous dit quoi, ce mot-là ? ») entre collègues, entre amis, en famille, la même référence resurgit : la sédentarisation, ça évoque et concerne les « nomades », les « gitans », les « romanos », le « quart-monde », les « gens du voyage » comme on dit « pudiquement » dans les médias, les notices administratives ou les couloirs préfectoraux.
Les enseignants spécialisés des RASED : des sortes de migrants, des transhumants toujours sur les routes, « itinérants » (l’a-t-on entendu ce mot-là !), jamais là où on les attend, jamais là où on a besoin d’eux, rarement au bon moment...
On se disait bien aussi que ça leur pendait au nez, à ces volatiles, instables, incontrôlables : ils incarnent, eux aussi, un écart à la norme devenu insupportable.
La « différence », surtout si elle est assumée, revendiquée, instituée, est toujours sous la menace d’un Procuste. La période est à la normalisation, les exemples dans l’Education Nationale ou ailleurs ne manquent pas : les outils (« INSERM limited »), les fichiers (Base-élèves, Edvige, ou ses petites sœurs à venir) sont en cours d’élaboration, voire d’exploitation... La marginalité, celle de ces enfants récalcitrants, réfractaires à l’école et aux apprentissages, celle aussi des enseignants spécialisés des RASED, pourtant bagués « E » ou « G », installés vaille que vaille « à la marge » de l’école, à leur proposer des détours, des chemins de traverse quand ils sont nécessaires, la marginalité n’est plus de mise, qu’on se le dise...
Depuis le temps pourtant que ces enseignants spécialisés des RASED essayaient de répondre aux injonctions administratives (« soyez visibles, joignables », « toute école a droit à l’intervention du RASED », « il est scandaleux que vous n’alliez pas partout ! » etc...), qu’ils sillonnaient des territoires toujours un peu plus étendus, que des inspecteurs triomphants pouvaient afficher des taux de couverture RASED sur leur circonscription proches d’une perfection toute soviétique, voilà que l’on semble découvrir tout à coup les vertus d’une politique diamétralement opposée (bientôt vertueusement défendue par les mêmes inspecteurs, décidément pas à un chapeau comestible près).
Ministre = sinistre ?
Il faut sé-den-ta-ri-ser !
C’est le maître-mot de Darcos depuis quelques semaines, à chaque fois qu’il est interrogé sur le devenir des RASED et des aides spécialisées à l’école.
Et qui ne comprend pas ni ne souscrit à l’argumentaire ministériel fait évidemment preuve d’une mauvaise foi circonstanciée...
Sédentariser, c’est implicitement mettre fin à une sorte d’errance, c’est mettre le holà à de présupposés errements ; c’est surtout reprendre le contrôle, remettre la main sur, retrouver la maîtrise.
Fi du psychologisme ambiant, retour aux valeurs de base, vive l’instruction (publique ou privée, d’ailleurs...) : l’échec scolaire vit, à travers ces remaniements en cours, ses dernières belles années, foi de Xavier Darcos !
Réduire la réaffectation des postes spécialisés de RASED à une approche, une lecture purement économique, libérale et comptable des problèmes de la part de M. Darcos laisserait dans l’ombre les choix idéologiques en jeu dans cette période : à la folie libérale, à la récession économique et sociale annoncée, il faut ajouter un projet politique globalement réactionnaire, dangereux pour tout ce qui a trait à ce que Mireille Cifali appelait « les métiers de l’humain ».
Avec pour finir une mise en garde, amicale, adressée à M. Darcos (que l’on a dit assez proche du très droitier « Club de l’horloge ») quant à l’emploi inconsidéré du mot « sédentaire » (synonymes aperçus sur Internet : « casanier, inactif, pantouflard, popote, pot-au-feu ») :
« Profession sédentaire et casanière, qui (...) ramollit ».
Rousseau parlait-il du métier d’enseignant ? Ou de celui de ministre ?
« Ils ont un système de pensée de sédentaires, de tranquilles et de fonctionnaires ».
Péguy, lui, ne pensait sans doute pas proposer ainsi une définition exactement contraire de l’idée que se font de leur métier les enseignants spécialisés des RASED dans leur très grande majorité, qu’ils fassent partie ou non d’une éventuelle future charrette des « 3000/an »...
Jacky Poulain
Octobre 2008
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(*) cf., au passage, ce que dit M. Foucault
dans l’Introduction à la vie non-fasciste :
« Cet art de vivre contraire à toutes les formes de fascisme, qu’elles
soient installées ou proches de l’être, s’accompagne d’un certain
nombre de principes essentiels, que je résumerais comme suit si je devais faire de ce grand
livre un manuel ou un guide de la vie quotidienne :
(...) Préférez ce qui est positif et multiple, la différence à
l’uniforme, le flux aux unités, les agencements mobiles aux systèmes.
Considérez que ce qui est productif n’est pas sédentaire
mais nomade ».
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